Regards croisés sur le stress au travail

Dépression, surmenage, épuisement professionnel… le stress au travail est une problématique qui pousse à la réflexion. Regards croisés d’un médecin, d’un philosophe et d’un sociologue.

Compte-rendu de la conférence du 08 octobre 2015 à l’École Supérieure de Commerce.

>> La souffrance au travail
>> Le regard d’un philosophe
>> Le regard d’un sociologue
>> Le regard d’un médecin
>> Redéfinir la Santé ?

Illustration d'un employé surmené devant son ordinateur. Le stress au travail le guette.Le stress au travail, un thème d’actualité

La souffrance au travail est une thématique qui interroge. Depuis les années 2000, les publications n’ont cessés d’augmenter ; que ce soit en philosophie, en médecine et par divers organismes (Ministères Sociaux, CNAM, ANACT…).
Des accords cadres européens ont étaient publiés en 2004 au sujet du stress au travail. Le gouvernement français propose des Plans de Santé au Travail depuis 2005 avec un nouvel élan trouvé en 2010.

40% des salariés disent souffrir de stress au travail. Il touche TOUS les domaines et TOUS les niveaux de la hiérarchie.

Comment détecter la souffrance au travail, comment la gérer en entreprise, comment prévenir ses risques ? Au travers de trois regards, tentons de comprendre la souffrance au travail.

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Le regard de Gérard Guieze, philosophe

Gérard Guieze nous explique que l’interrogation critique du travail a toujours était faite à travers son humanisation ou sa déshumanisation. Cela signifie que non seulement le travail produit des êtres, mais aussi des êtres. Le travail ne doit pas se réduire seulement à son résultat mais à celui qui en est l’acteur. Le travail réagit sur celui qui l’exerce.
Au 19ème siècle, le problème de la souffrance renvoie à l’individualité. La problématique d’alors était de savoir comment bien vivre de son travail. Aujourd’hui, on se demande comment bien vivre dans son travail.

Au 19ème siècle, la souffrance se rapporte essentiellement à la condition ouvrière, au prolétariat. Aujourd’hui elle touche tout le monde. Sans doute parce qu’elle renvoi à la défaillance au sujet d’un être, même s’il a un emploi avantageux.

Douleur ou souffrance ?

Gérard Guieze définit la souffrance comme étant le fait de faire l’épreuve de ses limites. Et non seulement on fait l’épreuve de ses limites, mais cela nous affecte en totalité. Il y a une différence entre avoir mal (mal au ventre, mal à la tête…) et être mal. C’est ici que réside la distinction entre la douleur et la souffrance.

Homme allongé dans son salon : épuisement professionnel, surmenage, stress au travail ?

Fatigué ou lassé ?

Fatigue ou lassitude ?

De même saisir la différence entre fatigue et lassitude permet de détecter les premiers signes de souffrance. La fatigue est cet état où l’on ne peut plus continuer un acte. On parle de lassitude quand on ne peut plus commencer une action. Même en ayant passée une nuit de sommeil, plus ou moins bonne, on ne trouve pas l’énergie pour démarrer. La lassitude est un signe sérieux qui doit faire penser à une souffrance.

La souffrance au travail est due à l’émergence de nouvelles normes en entreprise selon Gérard Guieze. Ces normes sont :

  • la mobilisation permanente du sujet. Avec les nouvelles technologies, l’employé est joignable jusque tard le soir. Et si l’un refuse de répondre, l’autre saisira l’opportunité et ce sera le début d’une compétitivité interindividuelle.
  • l’intensification des actes de travail.
  • l’évaluation du travail sur un modèle. Le modèle industriel est celui de référence aujourd’hui : agir c’est produire. Comment faire alors pour les professions dont l’objet n’est pas de produire mais d’œuvrer ?
  • la réduction du travail à un emploi. La notion de métier semble disparaitre. Avec l’extinction du métier, c’est aussi le savoir-faire et la passion qui s’amenuisent. On ne parle guère plus de métier-passion.

Les pathologies vont apparaître lorsqu’il y aura :

  • des normes par excès : cet excès de régulation entraînera une normalisation des êtres.
  • des normes par défaut, qui aboutissent à une disqualification des êtres.

« L’homme moderne prend  sur lui la charge de ses nouvelles normes ;
d’où la lassitude réactionnelle ».

Donner sens au travail

La souffrance au travail est perçue par ses effets pathologiques. Pour que le travail prenne sens :

  • il ne doit pas être perçu comme insignifiant.
  • il ne doit pas être vécu comme répétitif.
  • il faut qu’il ne se fonde pas dans la simple logique de ses résultats.

« Le travail ne pas être ce que l’on peut avoir par lui mais ce que l’on peut devenir par lui. »

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Le regard de Jean-Claude Casalegno, consultant en management et ressources humaines

Il est bien difficile de trouver une définition stabilisée de la souffrance. Selon lui, « un acteur est en souffrance lorsqu’il subit l’histoire, lorsqu’il est dans l’inhibition de ses actes ; quand il y a un écart entre ses idéaux et ses actions. »

3 sources de souffrance au travail

  1. l’intensification du travail : on a plus de choses à faire en moins de temps.
  2. les conflits avec l’entourage dans l’entreprise et la distance avec les managers.
  3. l’inflation procédurale qui accable les employés.

Parfois, il semble que le réel fasse mal.

Organisation de l’entreprise et psychisme

Jean-Claude Casalegno avance le fait que l’organisation de l’entreprise imprègne le psychisme des individus. Cela voudrait-il dire que pour une stratégie d’entreprise donnée, certaines pathologies seraient récurrentes ?
L’entreprise peut s’analyser selon 4 niveaux:

  1. le niveau individuel. Ce dernier est engagé dans l’action. Ce qui est remarquable est que l’individu moderne cherche à être exceptionnel. Pour cela, il a besoin de la reconnaissance des autres. Une certaine forme de narcissisme moderne s’est mis en place. Et si l’individu ne trouve pas la reconnaissance au travers des autres, il devient fragile.
  2. le niveau organisationnel. On rencontre aujourd’hui dans les entreprises soit des sur-effectifs, soit des sous-effectifs. Les premiers mènent à la compétitivité accrue et les seconds au surmenage.
  3. le niveau stratégique. Il semblerait que les entreprises avec peu de valeur ajoutée soient les plus sensibles aux tension au travail, a contrario des entreprises à forte valeur ajoutée comme l’industrie du luxe. Cependant la question de la souffrance au travail ne peut pas se faire l’économie de la réflexion sur la stratégie entrepreneuriale.
  4. le niveau politique. L’avidité des actionnaires aura des conséquences sur la stratégie, qui influera à son tour l’organisation et finalement les individus. Tous ces niveaux imprègnent la subjectivité des individus.

Pour conclure, Jean-Claude Casalegno nous faire part du fait qu’on pourrait se focaliser sur le bruit de l’arbre qui tombe alors que la forêt pousse. Il fait référence à toutes ces jeunes entrepreneurs qui mettent en place de nouvelles stratégies innovantes et qui vont modifier les comportements au sein des entreprises.

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Le regard d’Alain Chamoux, médecin

La médecine entre dans un aspect globalisant qui prend en compte l’individu selon un modèle bio-psycho-social.

Les pathologies liées au stress au travail sont :

  • le syndrome de Tako-Tsubo, suite à un stress aigü
  • l’anxiété
  • la dépression
  • les troubles musculo-squelettiques (qui représentent la première des maladies professionnels)
  • les pathologies cardio-vasculaires. Sur ce point, il faut savoir que le stress professionnel est un facteur de risque tout autant que le tabac. L’avantage est que l’un comme l’autre sont des facteurs que l’individu peut modifier.

La souffrance psychique liée au travail toucherait environ 2% des hommes et 3,5% des femmes selon un article l’Institut National de Veille Sanitaire de juin 2015. Les cas de burn-out représenteraient 7% de cette population selon Alain Chamoux.

La médecine a identifiée 5 critères qui contribuent à l’apparition du burn-out :

  1. les facteurs relationnels, pour 42%
  2. les facteurs organisationnels, pour 38%
  3. les facteurs de majoration (l’ensemble des éléments qui atraient à la situation personnelle de l’individu), pour 15%
  4. les facteurs éthiques, pour 3%
  5. les exigences du métier, pour 2%

Alain Chamoux explique qu’il existe une insuffisante qualité diagnostique des dépressions. Le questionnement de la part du médecin du travail quand au niveau de stress du patient est trop rarement fait selon lui.
Si cela était fait de manière plus systématique, on pourrait aggloméré les résultats afin de donner un niveau global de stress pour l’entreprise ou pour un poste plus particulier.

Secondement il est important de lutter contre l’isolement au travail. L’attention des collègues semble plus que jamais importante et nécessaire pour alerter sur une situation de repli sur soi, de lassitude.

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La Santé définit par l’OMS : une utopie ?

J’ai questionné le philosophe Gérard Guieze sur la définition de la Santé donnée par l’OMS : « la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en l’absence de maladie ou d’infirmité« .

Vivien Gas : « le modèle bio-psycho-social qu’évoque Alain Chamoux rappelle la définition de la Santé de l’OMS. Dans le contexte de cette conférence, il est vrai qu’elle peut paraître utopique. Pensez-vous qu’il est important de conserver cette utopie, comme un point de mire vers lequel on ne peut finalement que tendre vers, ou bien pensez-vous qu’il serait judicieux d’adapter cette définition afin qu’elle colle à la réalité de 2015 et qu’elle devienne ainsi plus atteignable. »

Gérard Guieze : « j’ai la chance de connaître la définition que vous évoquez et il se trouve que l’OMS ne donne pas la définition de la Santé, mais celle du Bonheur ! Être dans un complet état de bien-être physique, psychique, mental et social relève plus du bonheur que de la santé. La santé n’est peut-être pas qu’une visée, c’est un état d’équilibre. La définition est régulatrice parce qu’elle propose un point de mire, mais elle n’est pas réelle. »

Jean-Claude Casalegno de rajouter : « le bonheur c’est la norme de l’existence. Il est devenu une grande finalité de l’humanité. »

La santé telle que définit apparaît donc comme une utopie, par définition impossible, irréalisable, inatteignable. Cependant elle est porteuse parce qu’elle donne un sens à une visée. Comme toute utopie, elle renvoie à l’imaginaire et ici à l’imaginaire du bonheur qui semble être la nouvelle norme de l’humanité. Comment alors ne pas vouloir pointer vers cette lumière ?

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